FORMICA : cela veut dire fourmi en latin. Et de la fourmi tu as l'insatiable entêtement, revenant à la charge avec une méthode aussi appliquée que mystérieuse, alignant, surexposant, ciselant l'encre, les couleurs, le papier. Mais, tu es aussi cigale car il y a de la musique dans tout ça et tes images sont comme des notes qui se suivent pour s'assembler, se ressembler et dont la répétition ne cherche que l'accord : celui d'une fresque unique faite de quantités de "riens" qui sont un "tout". Cent tableaux dans une chapelle, c'est plus qu'un chemin de croix, c'est ta faena; une de ces faenas templées et interminables dont justement on souhaiterait qu'elle ne s'arrête jamais. Sauf que dans ton "toréo" tout est à l'arrêt - ou plutôt suspendu, statique, comme une statuaire de Litri. Tes toréos, en bon chef de lidia sont immobiles pas loin des picadores, droits, "tanqués", jambes raides et jointes comme autant de petits Chamaco, la cape dans les dents, en, un drapé "arrêté" lui aussi, allure, sculpté, bref! "couturé". Tes toréos hésitent entre Miuras et Lascaux.
Mais alors comment expliquer tant de dynamique, de fourmillement (sans jeu de mot), de rythme, de palpitation, de tourbillon même, de respiration : c'est que ta corrida flotte et vibre, improbable comme ces mirages du bout des étangs ou des plages du côté de l'Agachole un jour de canicule. Ces illusions si réelles qui nous attirent, nous happent et nous fascinent comme les strates de tes couleurs, tes gestes encore sensibles une fois saisis par la matière, le maelström de tes compositions pleins d'"adorno", d'"alegria" communicative. C'est ce qu'on appelle le "DUENDE". Tu sais combien j'aime me perdre dans tes signes calligraphiques, cabalistiques, rituels: "Sol y sombra", ombre mais lumière, baroques mais classiques, sacrés mais païens, chamarrés mais élégants, si sophistiqués mais si primitifs, jubilatoires mais graves, hermétiques mais si limpides, ésotériques mais si simples. Puisse-je avoir autant de "sitio" dans mon travail de mode, sans doute réitérerons nous un jour une de ces passes à deux, comme nous l'avons déjà fait une fois en rouge et or, l'autre fois en noir et blanc. Car au-delà de ta peinture, j'aime non seulement projeter/'ma" corrida - à chacun la sienne - mais, donc, aussi ma couture... et, encore au-delà, bien des mystères - N'est-ce pas le propre du peintre que de nous aider à voir l'invisible? Ta réalité peut se multiplier à l'infini, elle finira forcément par croiser nos rêves - "Suerte". Christian LACROIX
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